Plusieurs personnes présentent le Cabaret Cléo comme le seul établissement qui empêche la réalisation du Quadrilatère Saint-Laurent. C'est oublier toutes les personnes qui sont venues exprimer leur réserves sur ce projet. Les audiences de l’Office de consultation publique de Montréal ont permis d’entendre plusieurs témoignages solides en faveur de la préservation de la Main et du Cabaret Cléo. Le mémoire présenté par Viviane Namaste, professeure agrégée, titulaire de la Chaire de recherche sur le VIH/Sida et sur la santé sexuelle, Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia, a particulièrement retenu notre attention et celle des commissaires. En voici des extraits.
Jugement sévère d’une universitaire sur le Quadrilatère Saint-LaurentViviane Namaste a présenté un « mémoire très costaud » (selon l’affirmation du président des consultations) sur le projet du Quadrilatère Saint-Laurent. Nous en reproduisons des extraits et vous invitons à le lire ou à le télécharger (format pdf). Voici ses recommandations.
• Étant donné la valeur patrimoniale des bâtiments et du lieu géographique en
question
• étant donné le manque de données concernant des éléments clés dans ce dossier
•
étant donné une présentation sélective des évidences par les promoteurs du projet,• étant donné l’esprit des lieux du boulevard Saint-Laurent et son importance artistique, historique et symbolique sur les plans national et international
• et étant donné les orientations que la Ville de Montréal s’est donné pour promouvoir le Quartier des spectacles (soutenir les vocations culturelles propres au quartier; créer un environnement convivial et équilibré; et miser sur le développement durable)
Les recommandations suivantes sont émises :
• que l’Office de consultation publique de Montréal n’autorise pas l’expropriation des bâtiments liée au projet QSL.
• que l’Office de consultation publique de Montréal encourage le développement
d’un projet révisé, qui est conçu et développé en collaboration avec les acteurs du boulevard Saint-Laurent – les artistes, les groupes communautaires, et les commerçants
• que l’Office de consultation publique de Montréal souligne l’importance que tout projet lié à ce quartier et à ce dossier soumis pour considération à l’avenir soit évalué en fonction de la valeur patrimoniale du quartier, y compris l’esprit des lieux, et que tout projet soumis soit considéré en fonction des orientations générales de la promotion du Quartier des spectacles
Le projet « Quadrilatère Saint-Laurent » proposé par la Société de développement Angus : Un manque de respect du patrimoine québécois et un écart important avec les orientations générales de la promotion du Quartier des spectacles (page 13).
Voici ce que disent et pensent plusieurs experts(…) l’évaluation de la valeur dudit bâtiment (1230 Saint-Laurent Cabaret Cléo) stipule que l’édifice représente ... un intérêt majeur. Il obtient le plus grand pointage dans les critères liés à son environnement. En effet, malgré les modifications de son contexte, ce bâtiment représente une valeur historique des plus significatives du boulevard Saint-Laurent. Il obtient aussi un bon pointage dans la catégorie “valeur historique” car à cette adresse a déjà logé Ponton, le plus grand magasin de costumes au Québec. (Groupe Gauthier Biancamano Bolduc 2009, 46). (Namaste, p.5)
L’intérêt pour un tel endroit fait partie intégrante de la Main : le milieu des travestis de Montréal est au coeur des représentations symboliques de la ville, notamment dans l’oeuvre de Michel Tremblay (Namaste 2005, Namaste 2000, Schwartzwald 1992). L’existence de cette salle de spectacles depuis les années 1970 implique une valeur historique intéressante : ailleurs au Canada, il n’existe pas d’autres cabarets de travestis et de transsexuelles. Même dans de grandes villes comme Paris – où les spectacles de travestissement faisaient partie intégrante de la vie nocturne tout au cours des années 1950, 1960 et 1970 (Foerster 2006) – les cabarets de travestis de jadis ont disparus. La valeur historique et symbolique du Cabaret Cléopâtre doit se faire évaluer en fonction de cette histoire riche. (Namsate, p. 6)
La main et le Red Light District(…) la Main est une rue associée au Red Light, aux danseuses, et à la sexualité. Un projet immobilier qui n’a aucune place pour un commerce qui incarne ces éléments de sexualité de la Main propose une rupture radicale avec l’esprit de la rue et de son histoire. Lorsqu’on définit le patrimoine en fonction de l’esprit des lieux, un tel projet ne respecte pas les paramètres de la conservation du patrimoine québécois. On propose un projet qui, par contre, effacera cette histoire riche et variée du boulevard Saint-Laurent. (Namaste, p. 6)
L’histoire de la Main, c’est d’abord et en premier une histoire populaire – des lieux de divertissement à prix abordable, que cela soit les cinémas, le musée d’Eden, les salles d’amusements, ou les cabarets bon marché. Le boulevard Saint-Laurent était une rue de loisirs ouverte à tous et à toutes, un endroit populaire dans son sens le plus riche (Namaste 2005, Proulx 1998, Proulx 1997, Weintraub 1996). (Namaste, p. 7)
Voici comment le promoteur arrange les faits à son avantage(…) on remarque, à maintes reprises, un manque de données dont la pertinence nous permettrait d’évaluer avec justesse le projet en question. Une absence d’inventaire des intérieurs des bâtiments à exproprier et à démolir, par exemple, a été cité comme une lacune importante du projet proposé par le Conseil du patrimoine de Montréal (CPM 2009, 6). Des questions demeurent quant à la valeur patrimoniale du bâtiment au coin de Saint-Laurent et Sainte- Catherine, laquelle valeur exigerait une étude de l’intérêt patrimonial de l’édifice (CPM 2009, 7). Sont également soulevées plusieurs questions concernant le projet de centre commercial. Selon le Comité ad hoc d’architecture et d’urbanisme de la Ville de Montréal :
...dans un contexte aussi sensible et signifiant, il paraît important de valider la
faisabilité du programme commercial. Le Comité s’inquiète d’une part de la
capacité du marché d’absorber une superficie commerciale aussi importante (90
000 pieds carrés sur deux niveaux) et d’autre part de la pertinence de créer à cet
endroit une concentration de type “centre commercial” étrangère aux
caractéristiques typologiques du bâti de l’îlot (Comité ad hoc d’architecture et
d’urbanisme 2009, 5).
(Namaste, pp. 7-8)
L’encadrement des données par les promoteurs laisse entendre que la valeur patrimoniale des bâtiments n’est pas majeure, une position contredite par trois documents sur le dossier préparés par des experts dans ce domaine. (Namaste, p.8)
Voici ce que des experts pensent du 1230 Saint-Laurent (Cabaret Cléo)On précise que la valeur symbolique de cet endroit, indissociable de la sexualité, rayonne sur le plan international (Groupe de travail 2009). La fermeture d’un cabaret de danseuses sur le boulevard Saint-Laurent – une activité pour laquelle le boulevard est bien connu et apprécié, et ceci, à travers le monde – est proposée dans le cadre d’une initiative qui veut mettre en valeur la représentation symbolique de la ville sur le plan international.
Autrement dit, on propose des modifications réglementaires d’urbanisme qui entraîneront la fermeture des commerces existants du boulevard – des commerces qui sont, entre autres, responsables pour la représentation symbolique du boulevard Saint-Laurent internationalement. L’expropriation du bâtiment situé au 1230, qui voudra dire la fermeture du bar des danseuses situé au rez-de-chaussée, se trouve en conflit avec la position des experts en matière de patrimoine, qui eux déclarent “Selon nous, les éléments restants de la période du Red-Light méritent un effort de conservation” (Groupe Gauthier Biancamano Bolduc 2009, 46). Encore ici, nous constatons que la proposition d’exproprier ne respecte pas le travail historique et actuel des danseuses du boulevard Saint-Laurent. Ce projet s’accorde mal, alors, avec une orientation de “soutenir et d’exprimer les vocations culturelles propres au quartier.” (CPM 2009, Namaste 2005, Bourassa et Larrue 1993, Groupe de travail 2009). (Namaste, p. 11)
Voici ce que pense le professeur NamasteUn examen attentif du projet QSL proposé par la Société de développement Angus révèle qu’il ne respecte pas les orientations du Programme particulier d’urbanisme de la Ville de Montréal. L’expropriation des bâtiments et la fermeture des commerces locaux violent l’esprit d’une orientation explicite de “soutenir et exprimer les vocations culturelles propres au quartier,” n’installent pas un environnement convivial et équilibré, et ne font pas partie d’un programme de développement durable. (Namaste, p.12)
Il n'y a pas que nous qui ayons des réserves sur ce projet.
Dans un prochain billet, nous présenterons d'autres extraits de mémoires présentés aux audiences de l'OCPM.